KARL LAGERFELD A LA MAISON EUROPEENNE DE LA PHOTOGRAPHIE
Karl Lagerfeld, vaste sujet... Mégalo antipathique et déshumanisé? Génie de la mode et de la photographie à cheval sur deux siècles? Je ne suis pas sûre que le
choix soit aussi manichéen. Je ne suis pas sûre non plus qu'il faille toujours vouloir aimer ou comprendre l'homme derrière l'artiste.
Ce dont je suis sûre, c'est qu'il faut aimer l'art, la création, l'élégance, la féminité, l'esthétisme pour aimer l'oeuvre de Karl Lagerfeld. En rentrant dans la
MEP pour assister à l'expo de monsieur Lagerfeld, ce sont d'abord les tirages gigantesques de Versailles ou de New York qui ont retenu mon attention. Leur grandiloquence sobre, la magie de
pigments argentés qui embellissent l'image, d'un rouge brique saturé qui symbolise parfaitement les lofts de la grosse pomme avec leurs échelles de secours enchevêtrées... C'est tout simplement
beau parce que c'est le réel pris dans ses détails de structure, de matière... Parce c'est bien rangé par thématiques de couleurs, qu'il n'y a pas de fausse note, c'est harmonieux comme un défilé
Chanel, comme un look de karl Lagerfeld. De l'autre côté on attaque la mode, ébloui dès l'entrée par une silhouette de Karl nimbé d'un bleu électrique que diffusent des nénons autour de son
profil en taille réelle.
La diversité des traitements de tirages photographiques est revigorante car elle surprend. Le photographe n'a pas seulement bon oeil et bon goût, il a aussi de
bonnes idées, de l'inventivité. Des photos qui passent de l'impression d'une peinture, à celle d'une sérigraphie, qui s'arnachent de paillettes glamour sur des images qui évoquent l'iconographie
religieuse... Il y a les portraits nombreux de toutes les belles gueules magiques du cinéma et de la mode shootées par l'artiste, Baptiste dans tous les sens, sa muse, son corps sculptural
imperfectible qui se décline en dizaine de clichés noirs et blancs... Des petits tirages de série mode tous aussi merveilleux les uns que les autres qui font régner un silence monacal dans la
pièce pourtant bondée en ce début de dimanche après-midi. On a envie de décortiquer chaque image, d'être chaque femme superbe immortalisée ici, on imagine la grandeur d'une prise de vue avec
Lagerfeld, on touche de très près ce sentiment d'éternité que la photographie peut parfois susciter.
C'est un beau moment de recueillement et de contemplation. C'est une vraie belle exposition d'un grand artiste de la modernité et de la féminité.
LARRY CLARK, KISS THE PAST, HELLO, AU MUSEE D'ART MODERNE DE PARIS
On s'attaque là à un tout autre registre. Cette exposition m'a plus fait l'effet d'un reportage. Celui d'une
adolescence particulière, assez trash, assez crue. C'est un parti pris et je ne vous apprends rien, car il s'agit là du fonds de commerce de Clark depuis toujours.
Je ne me suis pas sentie spécialement choquée par ces images de jeunes se défonçant à coups de seringues ou par ceux qui offrent à l'objectif le corps nu de leur
conquête. C'est une réalité, c'est un fait, l'adolescence est aussi l'âge des excès, des quêtes, des tentations et des tentatives.
Je me suis en fait sentie gênée par la promiscuité de la foule s'amassant devant ce qui est absolument intime et personnel. J'aurais eu moins de mal à regarder
Kids chez moi, dans le secret de ma chambre pour y ressentir de plein fouet le malaise des déviances bien réelles d'une certaine jeunesse. Etre plus proche dans cette intimité dans
laquelle il faut bien arriver à pénétrer pour comprendre ce travail. J'ai été plus embarrassée de regarder un gosse aux yeux vicieux se passer une corde au cou, plus dérangée d'arpenter une
salle où les clichés de portoricains moustaches naissantes sur peau pubère jouent aux caïds devant l'objectif. J'ai été plus gênée de le faire en présence d'autres gens, d'autant d'yeux, comme si
nous étions bien trop nombreux pour faire ressortir quelque chose d'artistique de tout ça, comme si la masse noyait le propos.
Je ne suis pas sûre d'avoir aimé cette exposition. Car je ne suis pas sûre d'avoir aimé mon adolescence. Et c'est entièrement de cela dont il est question. Je ne
suis pas sûre de m'être sentie bien dans mes baskets en regardant ces visages enfantins avec comme dénominateur commun cet incroyable regard d'adulte en devenir. Mais n'est-ce pas justement
en cela que c'est réussi? S'être parvenu à me faire renouer en sensations réelles avec ce malaise assez indescriptible qui situe les ados entre détresse et espoir, entre
innocence et violence? N'était-ce pas justement le propos? Montrer les symptomes d'une jeunesse en proie à un certain mal être, dans cet entre deux qui joue avec les limites de la
décence, de la vie, de la mort, du sexe, de la drogue. Une jeunesse qui dérange quand on l'a quitté, qui choque peut-être quand on l'a oubliée...
C'est dommage que l'expo soit interdite au moins de 18 ans. Non pas que je milite pour l'agressivité visuelle ou toute forme de crudité un peu pronographique
ou déviante qui est déjà assez impactante dans ses expressions quotidiennes tout à fait incompressibles.
Plutôt parce que pour bien parler d'une expo qui dépeint d'adolescence, il faudrait en être un...