The Brown Bunny n’est pas un film chiant qui se résume à une fellation. Comme certains critiques voudraient bien le laisser penser...
C’est, d'après moi, l’un des films les plus sensibles, les plus nuancés et les plus justes que j’ai vus sur la perte de la personne qu’on aime. Justement parce que les longueurs (et non les lenteurs) qui accompagnent deux tiers du film, sont exactement la bonne recette pour amener à une fin paroxystique. Parce qu’il n’y a pas meilleure peinture de la solitude, de la peine, que de les voir se dérouler sur l’expression d’un visage, au fil d’une route pluvieuse, de les deviner dans un silence parfois pesant ou d’écouter leurs chansons dans des mélodies qu’il serait maladroit de vouloir raccourcir. Le vide tellement bien habité de la première heure du film est comme une préparation à la douleur.
Ce road movie entre averse battante, lignes jaunes d’autoroutes et soleil couchant est un délice visuel pour qui aime prendre la route. Bud Clay, le motard, est bizarre, certes pommé et c’est un peu de son malaise existentiel qui passe à travers l’étirement de ce temps parcouru seul sur les routes. Ses rencontres sont aussi poétiques et courtes que les noms de celles à qui elles s’amarrent : Violet, Lilly, Rose…Qui ne mènent finalement qu’à Daisy, celle qui est le motif, le moteur, la raison de tout ce qui se passe et ne se passe pas avant. De tout ce qui ne se passera plus non plus, ensuite…
Chloë Sevigny et Vincent Gallo, le couple fusionnel de ce film, en était un vrai également au moment du tournage. Aussi poignant que la débâcle de Cruise et Kidman dans Eyes wide Shut, l'histoire de Bud et Daisy étreint le cœur, particulièrement dans cet échange ultime, cette rencontre fantasmagorique qui clôt un film tout en émotions. Voir Gallo, recroquevillé comme un gamin sur ses pleurs, voir ses mains se perdre autour du visage de celle qu’il aime, l’entendre dire les mots crus que seul un amour sincère peut formuler alors même qu’il vit, dans sa bouche à elle, ce que la décence voudrait laisser à une intimité inviolable, c’est approcher de près, de très près, la vérité du couple. Sa magie comme sa détresse, ses promesses comme ses désillusions, sa force comme sa fragilité.
Un film photographique, sonore, qui se ressent, qui, comme tout bon film, emmène loin, très loin du quotidien tout en rappelant à quel point on est proche, si proche, de ce qui fait qu’un film n’est pas toujours qu’une fiction. Il y a une vérité qui est à son apogée absolue dans ce dialogue final de The Brown Bunny. Une intensité qui appuie forcément quelque part où ça fait un peu mal.
Mais puisque c’est fait avec autant d’intelligence émotionnelle, on veut bien être un peu maso pour l’occasion.