
Ce week-end je me suis octroyée une immersion dans la fashion, au cas où mon quotidien ne suffirait pas déjà à satisfaire mes besoins insatiables de frusques… Fashion Week parisienne oblige, je m’étais dégotée un deuxième rang du très prisé premier défilé parisien du jeune anglais Gareth Pugh.
Arrivée devant le Palais de Tokyo, la clientèle affiche la couleur : noir de rigueur à l’image d’un hiver qui en a fait son thème de prédilection. On se croirait à la fashion week londonienne. Dans la foule des hyper pointus qui commencent à s’amasser dans le hall du Palais, le défilé semblerait avoir déjà commencé. Pedro Winter vient de terminer son set dans ce lieu de l’art branchouille par excellence et se fraie un chemin l’air de rien parmi les extravagants. Un "boucles d’or" habillé d’une doudoune futuro-cosmonaute rutilante, un sosie d' Irina Lazareanu en manteau noir à épaulettes démesurément hautes, des neo-punks en wayfarers vêtus tout de noir et blanc. Le ton est donné et le style des invités résume celui du créateur que l’on vient voir.
Oublions le terme gothique que Gareth assimile à une flemmardise sémantique de la part des journalistes qui en ont fait ce mois-ci leur chouchou (Double, Jalouse…) Optons pour une tentative de caractérisation subjective : 80’s décadent, punk futuriste, néo dark robotique.
Premier clic photo à la demande d’une demoiselle qui veut immortaliser mon look. Soulagement : je ne dois pas trop détonner dans le décor…Mes connaisances journalistiques aussi sont là: sensation de familiarité presque réconfortante. Un défilé c'est souvent une rixe de goûts, un baptême de la hype, l'épreuve du feu à l'échelle dérisoire de la mode... Bref une plongée en plein coeur d'un univers qui est plus agréable, plus lisible, plus indulgent, si on en fait un peu partie...
Rick Owens arrive avec sa compagne Michelle Lamy, celle qui a soutenu Gareth au point de lui permettre d’être là aujourd’hui. C’est donc avec une belle escorte que je franchis parmi les premiers, les marches du Palais pour découvrir le catwalk rectangulaire épuré où va se dérouler le spectacle.
Jefferson Hack, Rick Owens, Michelle Lamy, Emmanuelle Alt, Carine Roitfeld
Car un show c’est aussi une performance. La concentration temporelle de l’intensité émotive d’un concert, d’un opéra, d’un bon film. Un shoot d’adrénaline d’une quinzaine de minutes qui en l’occurrence se fait désirer une heure… La clameur des photographes commence à monter. Carine Roitfeld (RC du Vogue France), accompagnée de ses nymphes aux jambes interminables, discute au premier rang à proximité de son homologue masculin du Dazed & Confused et ex de Kate Moss, Jefferson Hack. Grand seigneur, il a alimenté tous les rangs de places assises de son dernier mag, avec la silhouette phare de l’hiver from Gareth himself en couv.
Sous la verrière du Palais où la chaleur est de mise comme à tout bon défilé, se pressent des invités qui semblent tous avoir passé un casting de style avant de venir. De l’autre côté de la salle, Sarah de chez Colette se repère avec un look street wear US assise à côté d’une Melle Agnès toujours très juste dans la sobriété. Une jeune fille donne le sein à son bébé, coiffée d’un bonnet grunge qui rend la scène mythique, un jeune ephèbe à la peau d’ébène se trémousse sur des plateformes shoes en veste ceinturée outrageusement, une liane à la moue boudeuse pose volontiers en tailleurs Chanel vintage, avant d’aller s’adosser discrètement au mur du fond en standing…
Les néons lumineux blancs s’allument enfin pour baliser le trajet des mannequins, retentissement de samples qui rappellent le dernier album de Portishead et, enfin,
arrivée des looks absolument emphatiques de Gareth Pugh.
Le défilé rappelle la grandiloquence de ceux de John Galliano. Le spectacle n’est pas que dans la salle, il est avant tout dans cette créativité bouleversante du
jeune homme qui néanmoins a des tendances chromatiques monomaniaques : exclusivité de looks bi-colores noirs et blancs,
monopole des épaules haut perchées. C’est ainsi que l’on crée une identité, une patte, à force d’imposer des structures, des volumes, des partis pris. Gareth a un style unique, inédit qui ne
demande qu’à se développer avec les nuances de l’expérience. Les matières se déclinent en vinyl, cuir, transparence et opacité, les découpes varient les plaisirs géométriques, longitudes, carrés,
pastilles, bandes s’imposent avec une précision clinique qui culmine au comble de la rigueur esthétique.
Soudain un foulard fait frémir les premiers rangs de la presse… Une espèce de keffieh revisité, blanc criblé d'épingles à nourrices, qui rappelle un certain coup de maître de Balenciaga à l'été 2008. Porté en pointe, il diffuse un peu de sa souplesse aux silhouettes très maîtrisées du créateur.
Fraises d’Arlequin, pointes à la Star Treck aux articulations, blouson à la Thriller de Michael Jackson, plastrons rigides comme des armures moyennageuses, jabots dans le style gothique…Gareth Pugh a le génie de réinterpréter d’une manière totalement visionnaire, les formes symptomatiques de nombres d’époques révolues .


Rapide apparition du créateur sous les applaudissements. Pari parisien gagné. Gareth vient d’inoculer un peu d’audace londonienne hors tendances, aux conventions de la fashion week de la capitale. Reprise des hostilités : la fashion fourmille dans les escaliers, courant déjà vers d’autres horizons textiles, tandis que je rentre en marchant, la tête pleine d’images fantastiques, sur le trottoir baigné d’un doux soleil d’automne.